Bim ! Bold & Inspiring Makers est parti en territoire Beaujolais à la rencontre de Lucrèce.
Ici le vin, c’est une histoire de terroir, de passion, et parfois, de transmission. À Fleurie, au cœur des crus du Beaujolais, Lucrèce Bruyant a repris le Domaine Romanesca, avec Olivier, son conjoint et Antoine. Un héritage familial de ces deux frères jumeaux, qu’ils façonnent à trois, avec leur vision et leur énergie. Dans un monde viticole où le bio doit faire ses preuves, elle s’impose avec audace et engagement.
Entre défis climatiques, enjeux économiques et quête d’excellence, elle nous raconte son parcours et sa vision du vin de demain.
Pourquoi avoir repris le Domaine Romanesca, vignoble en Beaujolais ?
Lucrèce, d’où viens tu ? Quel est ton parcours professionnel ?
“Je suis Bretonne et je suis venue faire mes études sur Lyon. J’ai été 10 ans machiniste à l’Opéra de Lyon, j’en avais marre d’être dans le noir. Je n’étais plus en accord avec les valeurs financières et dépenses à outrance de l’opéra, je commençais à me demander si je devais partir, faire autre chose.
De façon complètement hasardeuse, les parents de mon conjoint allait arrêter leur exploitation viticole au Domaine Romanesca. On s’est tous les trois demandé si cette opportunité ne devait pas être saisie et c’est devenue une évidence.
Je n’avais jamais pensé à devenir vigneronne. Bien sûr j’appréciais le vin, et j’étais imprégnée par sa culture de part la famille d’Olivier mais ça se limitait à cela.”
©️Sophie Duarte – Girls Take Lyon
Quelles étapes pour effectuer cette transition ?
“Nous venons d’univers différents, arts du spectacle, bâtiment, menuiserie… Dans un premier temps, nous souhaitions nous former, passage obligatoire par une école et une formation de vigneron. Pour moi durant un an à l’école de Belleville et les jumeaux à Mâcon, à l’école Davayé.
Côté production, le Domaine était limité au Cru Moulin à vent, nous avons décidé de prendre 3 nouvelles appellations, comme celle de Fleurie, Morgon et Julienas, ainsi que du Beaujolais Village blanc et rosé.
Et surtout nous sommes passés en biologique ! Nous avons changé le logo, créé un site internet… Nous nous sommes approprié le Domaine sans pour autant oublier les valeurs de notre terroir. “
Tu n’as pas grandi dans ce paysage magnifique de Fleurie mais t’aperçois-tu du changement climatique ?
“Bien sûr, déjà, en écoutant l’ancienne génération qui n’a jamais connu les dérèglements de la météo et des saisons que nous connaissons.
Mais aujourd’hui je m’en rends bien compte quand en plein hiver il fait 0 et à peine 4 heures plus tard 10 degrés de plus. Ces variations climatiques ne sont pas normales.”
Vigneronne, c’est un métier qui fait rêver, mais concrètement, en quoi consiste ton travail au quotidien ?
Quelles sont les étapes clés de l’année dans un domaine viticole ?
“Les tâches sont réparties entre le travail dans la vigne, la gestion administrative au bureau et la vente. Nous participons à plusieurs salons entre fin octobre et janvier, nous avons fait Wine Paris dernièrement. Je m’occupe surtout des salons pour les particuliers car j’aime beaucoup les échanges que j’y ai.
Concrètement, en hiver : il faut s’occuper de la facturation, des relances commerciales, préparer des salons, et sur le terrain, tailler la vigne (décembre à fin mars).
Au printemps, les premiers bourgeons apparaissent, on commence à préparer les vignes : mettre des engrais bio, replanter des greffes, et labourer.
En mai, la pousse commence, il faut alors faire le traitement des maladies toujours avec des produits bio, du souffre et du cuivre. On cisaille, et on fait du relevage : pour libérer les troncs, on répartit les feuilles sur des fils. Les journées sont longues jusqu’à fin juillet, on commence au lever du jour jusqu’au coucher du soleil. Il faut aussi s’occuper de la cuvée de l’année précédente avec la mise en bouteille, l’étiquetage et la distribution.
En août on prend quelques semaines de vacances. Et la préparation des vendanges doit commencer car il faut tout nettoyer, le cuvage, les bennes, les seaux, mettre en place l’accueil des vendangeurs, environ 30, et s’occuper des extras de notre équipe de 8 à 10 personnes. Une fois les raisins récoltés, on nettoie tout, on range tout.
Ensuite, ce n’est pas fini, il faut faire les vins !! La vinification dure environ un mois.
Mon rôle durant les vendanges est sur le terrain, je suis cheffe de troupe. Antoine gère la vinification et Olivier le transport. Nous vendons une partie de la récolte en raisin pour les caves et négociants. Nous nous gardons l’équivalent de 15 000 bouteilles par an environ.”
Vigneronne, un métier authentique et engagé, alliant la passion pour la terre et la vigne
Qu’est ce qui t’a le plus étonné dans ton travail ?
“Je ne pensais pas qu’il y aurait autant de travail administratif. La vente d’alcool est un processus complexe et ultra suivi, les règles de douanes sont lourdes etc. Les tâches administratives et commerciales sont indispensables à l’exploitation.
La décision de se séparer de vieilles vignes est un processus difficile, long et couteux. En effet il faut donc la remplacer par une nouvelle vigne. C’est de prendre la décision d’arracher ces ceps mais parfois la vigne est trop vieille et n’est plus qualitative. C’est aussi à répercuter sur les prévisions de rendement.”
Le métier de vigneronne est exigeant, physique et demande une connaissance fine de la terre et du vin. Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans ce métier ? Et à l’inverse, qu’est-ce qui est le plus dur ?
“J’adore aller à la vigne, surtout en hiver, faire les travaux de taille.
Ce sont des moments apaisants pour moi, quand la vigne est endormie.
J’aime aussi la préparation des salons, la communication et le relationnel client qu’il y a autour. C’est agréable quand on vend que notre produit plaise. J’affectionne le contact avec les gens durant les vendanges, les rencontres éphémères que l’on fait, et enfin la vinification.
Au contraire, avec les beaux jours, quand ça pousse, pas le choix que d’aller vite.
Moins plaisants, ce sont les angoisses que l’on peut avoir sur une création d’entreprise. Dans notre domaine, on fait face aux aléas climatiques, à la grêle, aux maladies, aux pertes, et ce n’est pas contrôlable.
Voir la grêle tomber, c’est horrible par exemple. Et c’est de pire en pire et ça ne s’arrange pas avec les années. En 2024, nous n’avons obtenu qu’un tiers des récoltes. La question d’arrêter s’est posée, malgré tout nous avons tenu bon, et il était hors de question d’arrêter le bio.”
©️Sophie Duarte – Girls Take Lyon
Être une femme dans le monde viticole
Soyons honnêtes, le monde du vin reste largement représenté par la gente masculine. As-tu ressenti des freins ou des regards sceptiques à vos débuts ?
“Un peu au début, surtout dans le village, avec certains vignerons. Il y a de plus en plus de femmes dans les vignes et les domaines, mais les femmes de “l’ancienne génération” travaillaient principalement au bureau. On voit encore très peu de femmes sur les tracteurs. Aussi, avec certains fournisseurs, dès que ça parle technique, on se sent écartée.
Personnellement, je me suis toujours sentie légitime et ça ne m’a pas perturbée.
Petite anecdote : la cuisine durant les vendanges ! Au début, durant les vendanges, ça avait choqué que je ne ferai pas la cuisine pour les récoltants, et que je serais sur le terrain.”
Le Beaujolais aujourd’hui et demain
Parles-nous de vos cuvées. Quelles sont leurs particularités, leurs identités ?
“On travaille en parcellaire : une vigne fait un vin et on ne fait pas d’assemblage pour garder l’identité du terroir. L’appellation Beaujolais, c’est du gamay seulement.
Nous faisons plutôt des vins de garde, des vins travaillés qui restent tanniques.
Nous faisons un Fleurie : avec une cuvaison courte, bien fruitée. Une cuvée de Morgon : en cuvaison longue, en béton, un vin puissant. Deux cuvées de Moulin à vent : fruitées et équilibrées, avec une cuvaison moyenne. Deux Beaujolais Villages en blanc et rosé. Et enfin, un Juliénas, mon préféré pour son côté poivré et épicé, avec une cuvaison de 15 jours et un élevage de un an en fut de chêne.”
💡 Pour info : la cuve en béton est respirante et n’alterne en rien le gout du vin, favorisant ainsi l’expression pure du fruit. En revanche, le fût en chêne, tout en offrant aussi une micro-oxygénation, transmet des arômes boisés et des tanins qui influencent le profil du vin.
Le Beaujolais a longtemps souffert d’une image réductrice, associée au Beaujolais Nouveau. Aujourd’hui, il retrouve ses lettres de noblesse avec ses crus d’exception. Comment perçois-tu cette évolution ? Les vignerons font-ils en sorte de revaloriser la région ?
“On ressent encore cette réticence dans certains salons. On interpelle alors les visiteurs en leur demandant s’ils connaissent les crus. Certains ne veulent pas y goûter ! Les plus curieux, on leur explique la différence avec le Beaujolais Nouveau.
Tout de même, je perçois que les gens sont de moins en moins fermés. Dans l’ensemble, ça s’atténue cette histoire de beaujolais nouveau. Les gens aiment et apprécient.
Cela dit, certains Beaujolais Nouveau sont très bons.
Ce qui nous sauve aussi, paradoxalement, c’est que les vins de Bourgogne sont de plus en plus chers. Les gens cherchent un nouveau produit avec un rapport qualité prix et le Beaujolais répond à cela.”
Le Domaine travaille en bio. Pourquoi ce choix et quelles en sont les implications au quotidien ?
“C’est dans notre philosophie de protéger notre famille, l’environnement, nos clients. Et nous-mêmes par la même occasion, on a la tête dedans presque toute l’année, donc on veut éviter les maladies. Prendre soins de notre environnement, c’est aussi important.
La contre partie… deux choses sont difficile à gérer : l’enherbement et le passage de la pioche qui est très dur. On ne peut pas laisser les herbes pousser, elle fait concurrence à la vigne et lui prend son eau.
Sinon techniquement, il faut 3 ans d’utilisation de produits bio avant d’obtenir le label. On a des audits, de quelques heures mais rien de compliqué, c’est du contrôle et c’est plutôt bien fait. Ce qui est un peu moins juste c’est de devoir payer ce label tous les ans, en plus du fait que les produits soient plus chers. C’est une dépense injuste face aux efforts que l’on fait pour l’environnement. Il existe une aide à la conversion mais après cela, c’est fini, pas très logique.”
Où trouve t-on vos vins ?
“Vous pouvez passer commande sur le site internet, où sont listés les lieux de vente France et à l’étranger. Nous faisons différents salons, ceux dans la région par exemple à Neuville, ou à Grenoble.
Nous nous développons beaucoup en Haute-Savoie, dans les restaurants gastronomiques, sur Paris, au Royaume-Uni ou en Asie.
La cave n’est pas toujours ouverte, donc on vous propose de réserver avant de venir nous visiter !”
L’avenir du Domaine Romanesca et les conseils aux audacieux
Quels sont tes rêves pour le Domaine Romanesca dans les cinq ou dix prochaines années ?
“En projet à cours terme et réalisable, j’aimerais améliorer le bâtiment du Domaine pour l’accueil et travailler dans les meilleures conditions possibles. Une nouvelle terrasse, un caveau plus beau.
J’aimerais aussi continuer à palisser nos vignes pour vendanger dans de meilleures conditions et pour un rendement plus élevé, mais c’est une technique qui prend du temps.
Mon rêve, serait de plus voyager pour développer nos vins, faire des salons à l’étranger. C’est très onéreux et le retour sur investissement peut durer de nombreux mois voir des années ! Nous sommes aidés par Interprofession avec des voyages organisés mais ils sont limités.”
Si tu devais donner un conseil à ceux qui hésitent à se lancer dans un métier aussi exigeant que le tien ?
“Il faut bien se former sur l’administratif, il y a énormément de choses à gérer au bureau. Beaucoup d’heures sont passées à l’intérieur et il faut bien compter ces moments dans son temps de travail.
Il faut se faire confiance, croire en soi, ne pas se laisser influencer par certaines remarques négatives. Il y a des remarques bonnes à prendre et d’autres à mettre de côté. Il faut rester focus sur son objectif.
Par exemple, en rapport au bio, les anciens disaient que ça n’allait pas marcher.
Un autre conseil important : communiquer avec son équipe, exprimer ce qui va et ce qui ne va pas, et prendre des moments de pause loin de la vigne.
Si on a pas le moral, faut prendre du temps et savoir demander de l’aide.”
Et enfin, si je devais trinquer avec toi, ce serait avec quelle bouteille ?
“2022, Moulin-À-Vent Champ de Cour !”
💡 Bouteille que j’ai pu goûté et je confirme !
Bim ! Bold & Inspiring Makers
Lucrèce Bruyant : une vigneronne qui réinvente le Beaujolais avec audace et passion
Audace, passion et résilience : voilà les maîtres-mots du parcours de Lucrèce Bruyant. Dans un monde viticole en pleine mutation, elle et ses deux associés, incarnent une génération de vignerons.nes prêts.es à bousculer les codes et à faire briller le Beaujolais autrement.
En balade à Fleurie dans le Beaujolais ?
Lucrèce nous a donné quelques bonnes adresses pour manger quelques spécialités locales et les accompagner de bons vins du Beaujolais.
L’Auberge du Cep, à Fleurie. Restaurant gastronomique étoilé.
La robe rouge, à Villié-Morgon. Cave et bar à vin, avec une cuisine végétale.
Les terrasses du Beaujolais, à Chirouble. Vues sur les monts du lyonnais et sur la vallée du Beaujolais.
©️Sophie Duarte – Girls Take Lyon
Domaine Romanesca à Fleurie dans le Beaujolais
Site – Commande / Entre 14 et 20 euros.
Adresse : 1172 Route de la Chapelle des Bois, 69820 Fleurie
Tous Crédits Images sauf mention : Frédéric Beer, Martin Kopoi, Domaine Romanesca
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