BIM ! Bold & Inspiring Makers c’est le nom qu’on a donné à la série de portraits que vous propose désormais Girls Take Lyon.
BIM ! est né de l’envie de donner la parole à ceux qui ont pris des risques, qui ont eu des idées qui faisaient bouger les lignes et qui ont transformé leurs rêves en réalités. Entrepreneurs.euses, personnalités, modèles à suivre, projets inspirants et créatifs, ils font partie des audaci.eux.ses et des visionnaires de Lyon.
Nous sommes persuadées que rencontrer ceux qui ont choisi Lyon ou ces lyonnais et lyonnaises qui font bouger la ville est une source d’inspiration. Et tous les sujets que nous traitons sur Girls take Lyon y passeront : culture, gastronomie, écologie, entreprenariat, solidarité, etc.
La ville et notre région sont le terrain de jeu idéal pour faire bouger les lignes… la preuve en portraits !
➡ Notre série de d’interviews commence avec le dirigeant et cofondateur de ce qu’on peut appeler aujourd’hui une institution lyonnaise…
Le Ninkasi fait partie intégrante et incontournable du paysage culturel et des lieux de sorties à Lyon.
Depuis 1998 (désolée pour ceux qui prennent un coup de vieux), la société et la marque Ninkasi ont fait un beau bout de chemin ! Multiplication des créations en terme de bières artisanales et de food à la carte, développement du réseau d’établissements, sur Lyon, la région et partout en France, podium et tremplin pour artistes, le Ninkasi a une place importante à Lyon dans le domaine de la restauration, des boissons et de la culture.
L’un de ses fondateurs, Christophe FARGIER, porte indéniablement une casquette d’entrepreneur ambitieux. Mais, sa vision du monde de l’entreprise est profondément humaine et inspirante. C’est un homme humble, cultivé, passionné et passionnant que j’ai rencontré, dans son bureau situé proche de l’ancien Ninkasi Gerland. Le dirigeant de Ninkasi a énormément de respect pour les personnes avec qui il travaille et collabore, il intègre des aspects sociétaux au fonctionnement de son entreprise, notamment avec l’importance de la culture ou de l’écologie. De nature positive, il travaille dans la bienveillance et l’équilibre, afin d’apporter des solutions, plutôt que de dénoncer.
La société lyonnaise Ninkasi est en pleine expansion, les projets fusent…
Découvrons en plus sur comment cette aventure entrepreneuriale et humaine est née ? Et à propos de cet entrepreneur, Christophe Garnier, qui la vit à fond !
💡 Découvrez notre short video à la fin de l’interview.
LA CRÉATION DU NINKASI, UNE PASSION POUR LA BIÈRE ARTISANALE
– Racontez nous l’histoire du la création du Ninkasi ? Comment vous êtes vous intéressé au brassage et à la bière artisanale ?
“En 1995, à la fin de mes études, je pars rejoindre un ami américain, avec pour envie de trouver une belle idée et revenir en France pour monter un projet. J’avais fait auparavant une école de commerce et un DESS management des petites et moyennes organisations. Dès le collège, je voulais faire une école de commerce et monter mon entreprise… avec la volonté d’être indépendant, de ne pas avoir de compte à rendre, de pouvoir réaliser un projet où je me sens en ligne avec mes valeurs et le contenu. “
Je n’ai quasiment jamais travaillé dans une entreprise. Je ne sais pas ce que c’est que d’avoir un patron ! J’ai toujours été très libre dans ce que je fais, mais en réalité, lorsqu’on créé une entreprise comme le Ninkasi, on embarque un collectif, on a donc des comptes à rendre, on doit évaluer les risques, car derrière on a des centaines d’emplois qui en dépendent.
“Avec mon ami Kurt Huffman, que j’avais rencontré en France, on en est rapidement venu à parler des “brew pub”, un concept qui s’était très fortement développé dans sa ville, Portland dans l’Oregon, une des capitales du mouvement “craft” aux États-Unis. L’idée m’a séduite, on a installé un petit système de brassage dans sa maison, j’ai fait une formation à Chicago durant quelques mois au Siebel Institute of Technology. Après avoir visité et travaillé dans des brasseries sur place, nous sommes revenus à Lyon pour passer du rêve à la réalité !
Nous avons commencé par la recherche d’un emplacement, pour créer cet endroit qui est devenu le Ninkasi à Gerland. L’entrepôt que nous avons trouvé a donné une dimension tout de suite importante au projet, on a créé une fabrique de bières, et dans la continuité, un café concert, un bar restaurant, dans un style assez “industriel” dans l’idée de prolonger le côté “fabrique”. Cela a été stratégique de revendre directement notre propre bière plutôt que chercher des revendeurs, nous avions compris que ça allait être compliqué de survivre face aux grands brasseurs et que pour le moment il y avait peu d’intérêt pour la bière craft sur le marché français. Nous nous sommes adaptés pour durer ! On a créé notre propre clientèle et un espace qui allait “brasser du monde”.
Au début, beaucoup de lyonnais ne trouvaient pas notre bière bonne. Étant très habitués à la bière blonde industrielle et très légère, notre bière ayant plus de goût, on a dû passer par une démarche pédagogique pour expliquer le 100% malt, l’utilisation du houblon… un long travail mais qui a permis de faire émerger l’envie de découverte. Et à partir de 2010, le mouvement craft a enfin explosé en France. Aujourd’hui, il y 2800 brasseries artisanales en France, à l’époque, fin des années 90, il y en en avait moins de 100.
L’Histoire Ninkasi, ce n’est pas pas un projet tout tracé, mais plutôt une histoire de rencontres, de solutions, qui ont donné lieu à des projets qu’on a développé en fonction en trouvant les moyens nécessaires. En 2000, nous avions créé une salle de spectacle, le KAO. Ce projet s’est réalisé grâce aux artistes et rencontres qui sont passés sur scène durant ces trois premières années, malgré les difficultés (petite salle, nombreux artistes émergents), nous n’avons pas renoncé mais trouvé une solution : ouvrir des petits Ninkasi dans le centre de Lyon. En douze mois, nous avions ouvert les Ninkasi Ampère, Hôtel de Ville et Cordeliers (fermés aujourd’hui). D’autres établissements ont continué à ouvrir par la suite.”
DU BUSINESS OUI, MAIS HUMAIN
- Quelle sont vos inspirations et aspirations ? Est-ce que vous avez un modèle ou une figure qui vous a inspiré pour créer votre business ? Dans votre vision de vie ?
“C’est notre rêve, à mon ami et à moi, qui a été porteur au démarrage, mais sur le processus du développement Ninkasi, c’est le collectif qui a apporté l’énergie. Un lieu qui fabrique sa bière, c’était un peu celui de nos rêves, celui qu’on aurait aimé avoir lors de nos années étudiantes. On a visité tellement de bars aux USA qu’on a trouvé de l’inspiration, on est allé chercher des amis pour différents domaines (architecture, immobilier…), et la théorie des rencontres a fait son travail, le cercle s’est agrandi, des gens nous ont rejoint. Nous sommes passés ainsi du rêve à la mise en action, c’est important d’avoir cet équilibre : il faut s’entourer de gens qui ont la capacité de passer à l’acte et être complémentaires. Je crois beaucoup à la notion d’intelligence collective et ça me convient parfaitement.”
Ma plus grande satisfaction c’est que le projet est devenu le patron. On forme un collectif extrêmement engagé envers le projet où tout le monde trouve sa place. Cette dynamique doit perdurer et le projet doit trouver son autonomie, il va falloir que je m’emploie à continuer dans ce sens sur les prochaines années.
- Le collectif est une part donc très importante dans votre vision de l’entreprenariat. Quel est votre modèle et votre vision d’une entreprise collective, votre manière de travailler avec vos équipes ?
“Je prends beaucoup de temps à échanger avec mes collaborateurs et futurs collaborateurs pour vérifier ensemble nos valeurs communes, les responsabilités qu’elles impliquent et les mettre en confiance. Je veux qu’ils sachent que ce ne se sont pas des pions, qu’ils peuvent prendre une part dans l’aventure, et participer à faire bouger les règles si besoin, faire vivre le projet… Nous sommes dans une société qui a poussé le curseur de la compétition très loin, elle peut être stimulante, certes, mais la coopération et le partage doivent revenir sur le plan. Il faut trouver un équilibre qui soit plus sain.
Le côté business est indéniable dans une entreprise, mais il faut penser aussi, en même temps, aux côtés sociétaux et environnementaux.
Par exemple, notre nouvelle usine à Tarare est très performante en terme de consommation d’énergie, mais pour optimiser cette consommation, il faut que les équipes travaillent en 3/8. On pourrait récupérer la chaleur du brassin et de la distillation, et il faut enchaîner le travail pour l’utilisation de cette chaleur. Donc dilemme : qu’est ce que je privilégie ? La qualité de vie de mes collaborateurs, ou la planète, avec la récupération de la chaleur ? On a demandé aux équipes, ils ne souhaitaient pas travailler en 3/8, on a donc décidé de façon collective, on assume le choix et on trouve de nouvelles solutions.”
Un des leitmotiv de la maison : lorsque vous avez le choix entre plusieurs chemins, prenez le chemin qui vous semble le plus difficile. Ce sera certainement celui où on aura intégré toutes les contraintes. Il faut se méfier de la facilité. Travailler sur des notions de valorisation, d’économie circulaire,… c’est plus plaisant, ça a plus de sens.
- Quelles ont été vos difficultés ? Les plus grosses contraintes ?
“Alors, le projet Ninkasi, ce n’est pas une success story ! C’est plein d’échecs, de moment difficiles. Une de nos qualités, c’est qu’on renonce difficilement. Le succès, c’est la capacité à ne pas renoncer.
Nous avons eu beaucoup de contraintes, législatives, fiscales, administratives, très lourdes et défavorables à ceux qui entreprennent, des changement de règles du jeu… En 2012, quand on a ouvert l’usine, on a les droits d’assises sur la bière qui ont augmenté de 160% ! Bling, un énorme coup sur la tête !
Nos institutions restent beaucoup trop éloignées des PME, les politiques ne se rendent pas compte de toutes les entraves qu’on a. Les circonstances et nouvelles lois nous ont fermé les portes pour des subventions.”
Aussi, on a du mal à nous faire rentrer dans une case ! Est ce qu’on est “industriel”, “dans le CHR” (NDLR : acronymes Cafés Hôtels Restaurants), “du spectacle vivant”, “dans le culturel” ? En France, plutôt de voir que ça peut être une richesse, une singularité, ça génère plutôt de la suspicion. Tout est très organisé, hiérarchisé, contrairement aux États-Unis. Néanmoins, par rapport à la fin des années 90, l’entrepreneur a une meilleure image en France, du chemin a été fait, heureusement.
- Quels conseils auriez vous aimé recevoir, au début de l’entreprenariat ?
“Je pense qu’il ne faut pas chercher à tout comprendre pour se lancer car c’est en se lançant qu’on va apprendre. Il y a une énorme différence entre le savoir et la connaissance, qui est la manière dont on va expérimenter ce savoir. Si on a une idée, il ne faut pas commettre l’erreur de trop réfléchir, tout analyser, tout comprendre, car plus on attend, plus on appréhende, et plus le passage à l’action va devenir difficile.”
Jette toi dans la piscine et tu verras que une fois dans la piscine, tu apprendras plus rapidement une fois dedans.
“Aussi, ne laisse jamais quelqu’un te faire douter de tes propres rêves, tout est possible, dans la vie il n’y a pas de déterminisme. Lance toi. Si l’envie est forte, réussir tiendra surtout du fait que tu ne baisses pas les bras, et que tu ne renonces pas. Même dans les situations d’échecs, la vie a ce côté magique, même quand la situation est désespérée, il y a toujours un petit miracle qui se produit, mais il faut être dans l’action. C’est du vécu ! C’est arrivé un nombre de fois impressionnant au Ninkasi. Ces moments sont fondateurs.
Il faut aussi savoir prendre le temps, on doit être souple. C’est bien de se donner des échéances mais il faut savoir la laisser glisser si besoin. J’aime beaucoup le taôisme, on tient compte du temps mais on doit en avoir une approche fluide, il faut jouer avec le temps, se laisser glisser, écouter son énergie, il ne faut pas avoir une approche rigide du temps. Je pense que ceux qui réussissent sont ceux qui sont capable de prendre du temps, savoir faire des pauses. On peut avoir l’impression qu’on a pas le temps mais nos actions méritent de prendre le temps, regagner en lucidité et ces dernières seront bien plus efficaces que si on était resté en agitation.”
- Pourquoi le choix de Lyon ? Quelles sont les projets d’ouverture géographiquement ? Si vous pouviez étendre à l’international, ce serait où ?
“Je suis Stéphanois, c’était un choix économique, pour ce projet ambitieux, on a décidé de choisir une ville qui a un potentiel économique plus important, plus d’habitants. Nous ne cherchions pas un établissement aussi grand, on aurait pu ouvrir dans 400 m², mais c’est un bel établissement à Gerland de 1500m² que notre choix s’est porté, car ça donnait une dimension importante au projet. On a eu la chance de pouvoir financer le projet, et ouvrir un lieu si grand. C’était le début de l’aventure Ninkasi.
Mâcon, Dijon, ce sont des établissements proches de Lyon. Mais nous nous éloignons en 2024/2025 à Besançon, Montpellier, Lille, Metz, Grenoble, Rennes et Roanne. Rouen est l’établissement le plus éloigné aujourd’hui.
Je suis un fervent partisan de l’Europe, et élargir à l’Europe serait une belle participation. Si on le faisait, ce serait de manière assez limitrophe, Belgique, Italie, Espagne. À l’époque notre rêve avec Kurt, c’était d’ouvrir à Lyon, Milan et Barcelone ! Le rêve est resté dans un coin, donc pourquoi pas dans les années qui viennent.”
- Que va t-il se passer avec la fermeture du KAO ?
“Le Ninkasi Gerland, on espère qu’il va rouvrir rapidement. Le promoteur va détruire puis en construire un nouveau. On reviendra au rez-de-chaussée où on a prévu de faire un café-concert en entrées libres de 450 places. Il n’y aura plus le KAO. Aujourd’hui nous avons le Ninkasi Cordeliers avec une jauge de 250. Ce seront deux salles qui permettront de mettre en lumière des artistes. On a pour projet, à Oullins dans le quartier de la Saulaie, de reconstruire une salle de 800 places, payantes, ce serait un projet pour compléter l’accompagnement et le parcours d’artistes émergents.”
La démolition du bâtiment a commencé en septembre, on attend la réouverture avec impatience, prévue à l’été 2026, avec un bel espace de 1600 m² au rez-de-chaussée du futur immeuble, dont un café concert.
ÉVOLUTION ET PROJETS POUR L’ENTREPRISE ET LA BRASSERIE
- Qu’est ce que ça veut dire brasserie indépendante ?
“Nous sommes dans la maîtrise de notre capital et de notre décision. On dit aussi, brasserie engagée, c’est dans notre stratégie d’impact, d’aller vers un modèle régénérateur. On parle d’indépendance dans la maîtrise de nos décisions, ambitieuse car il est hors de question de se faire écraser par les gros industriels. Les brasseries crafts indépendantes ont pris 8% du marché de la bière en France. On a bien l’intention de grappiller quelques pourcents. Aux États-Unis, elles représentent environ 20 %.”
- Du côté de la nouvelle fabrique de bière, dites nous en plus ?
“Oui, on a un magnifique outil, qui nous permet de répondre à 3 critères : optimum pour les conditions de travail des équipes (plus de charges lourdes, de la lumière naturelle, attention portée à l’acoustique), on espère que le métier se féminise. D’un point de vue environnemental, c’est un outil performant, sobriété énergétique, sur la consommation de l’eau, pas de déchets produits, valorisation de nos sous-produits, c’est possible. Et ça reste performant économiquement puisqu’on a un outil qui nous permet de produire à des coûts intéressants. Et un point très important, c’est un outil qui nous permet de faire des bières encore plus qualitative !”
Industrialiser un process de fabrication ce n’est pas un gros mot, ça permet la constance et la qualité. Par exemple, il y a encore moins d’oxygène dans nos bières que dans nos anciennes usines ! Aujourd’hui, nos bières vont avoir une tenu dans le temps bien meilleure.
- La nouvelle brasserie est-elle ouverte au public ?
“Elle n’est pas faite pour à cause des contraintes de sécurité. Par contre sur le futur site de la Saulaie, on aimerait installer une petite brasserie, proposer des ateliers, pour faire sa bière, assembler son whisky, et donc développer un tourisme “industriel” sur ce tiers-lieu. Il n’y aura pas l’obstacle de la distance comme sur le site historique de Tarare.”
- Vous avez dû faire des compromis en industrialisant la fabrication ?
“Non, au contraire ! Je sais ce que c’est de brasser avec une pelle et avoir du mal à maîtriser la température dans une cuve, car on a commencé comme cela en 97. Aujourd’hui, je vois la différence de qualité de produit avec le process. On nous dit aussi qu’on devient trop gros”… On est toujours le gros de quelqu’un. Notre brasserie produit 50 mil hectolitres ! Kronenbourg en fait 7 millions. On reste dans la catégorie des petites brasseries indépendantes françaises.
Les “3 gros”, Heinekein, Abbeinben et Carlsberg, se partagent 80% du marché de la bière mondial. Le plus gros fait 250 millions d’hectolitres !”
Même si on grandit, on a pas la prétention de devenir un gros industriel. Ce serait même contre nature, l’ambition est d’être une belle brasserie française. Si un jour on approche les 250 mil hecto, ce sera notre taille à maturité.
- Beaucoup de nouveaux produits, une volonté de ne pas se cantonner à la bière ?
“Thé glacé, cidre, whisky, gin, vodka. Pour le cidre, on travaille avec l’entreprise Ogier (Vienne) et Bisardon (Saint Chamond) pour les fruits, et dans notre brasserie, nous nous occupons de fermenter le jus. On s’est lancé dans la distillation pour en faire du whisky, on fait un alcool de poire, une vodka aromatisée, une gamme de sodas.
Tout comme la bière maison, nous voulions garder une certaine qualité et rigueur. Boire un cocktail au Ninkasi, c’est complètement maison : des produits fabriqués par nous-même, sur des filières courtes, locales, une sélection de produits provenant d’entreprises qui ont de très beaux savoir-faire comme Crozet par exemple.
L’univers des spiritueux pourrait permettre en partie la croissance de l’entreprise sur le long terme, c’est un projet qui atteindra sa maturité sur certainement plusieurs générations. La bière restant sur le marché national (pour garder les qualités de celle-ci), un whisky Ninkasi quant à lui peut voyager. Actuellement, nous sommes sur le marché de différents pays asiatiques, aux États-Unis, nous sommes au début de la conquête à l’export.”
Le whisky, on essaie mais on aura un résultat dans 10 ans. Il faut avoir cette capacité à changer de rythme, c’est sain. On ne sait plus prendre le temps. Ce projet nous réapprend à prendre le temps et ça fait du bien.
- Est ce que cela vous amène à vous fournir de façon non locale ?
“En moyenne, il y a 117 km entre nous et nos fournisseurs, et une grosse proportion dans notre département. On ne veut rien faire au détriment de la qualité. Le houblon vient par contre de loin, mais ce sont quelques kilos dans une recette, en comparaison notre malt est utilisé en tonnes. En terme d’impact CO2 ce n’est pas grand chose. C’est une épice le houblon, on adore celui qui est produit en République Chèque, ce n’est pas dramatique en terme de proportion. On essaie aussi de faire des bières avec des ingrédients 100% français avec la French IPA. Les houblons viennent de l’Ain, mais aussi d’Alsace.”
- Des inquiétudes en termes d’idées de nouvelles recettes ?
“Non, c’est un peu comme en cuisine, on peut jouer avec les ingrédients, la manière de fabriquer, la créativité est infinie. Nos brasseurs ont envie de se faire plaisir et il faut que cette créativité soit entretenue. On fait très régulièrement des réunions de dégustations, lors de la dernière, on a même discuter de nos “crash tests” jusqu’à fin 2025.”
- Sans alcool, sans gluten, bio ? Quelle est votre position ? C’est prévu ? Quoi d’autre ?
“On a fait un crash test sans alcool, qui avait été une réussite. Tout le challenge maintenant est de la re brasser sur la nouvelle fabrique. En France, la législation autorisée pour être “sans alcool” c’est en dessous de 1,2% donc on reste à cette limite. Les procédés pour enlever l’alcool sont très énergivores, c’est une vraie prouesse de faire une bière qui à la base se fabrique avec l’alcool, tout en ayant un produit qui reste qualitatif.
Réduire le degré alcoolique n’est pas un problème pour un amateur de bière, c’est agréable quand il fait chaud ou pour un repas à midi. Une contrainte peut permettre de faire une très bonne bière, mais on ne veut pas dénaturer un produit avec un procédé chimique pour réduire à zéro.”
C’est quand même plus simple de boire une boisson non alcoolisée, plutôt que de faire une bière avec de l’alcool et de dépenser de l’énergie pour enlever l’alcool. Il faut qu’il y est du plaisir et du goût.
“Sinon, il y a un style qui revient à la mode : les “still” et “gose”, “sour”, et qu’on essaie de brasser, une rousse “scotch Ale” (on a eu une médaille d’or). Un cidre, auquel on ajouterai d’autres fruits de la région. Notre cidre est sans gluten mais on en parle pas trop encore du sans gluten dans notre bière.”
- Quels sont les projets qui vous tiennent le plus à cœur ?
“Rouvrir Gerland, le projet de la Saulaie, je pense que ce creuset qui va faire naître plein d’autres projets. La collectivité c’est l’intelligence collective. Si on arrive à mettre dans le tiers lieu de la Saulaie une centaine d’acteurs du territoire dans différents domaines, il pourra se passer plein de choses.
Aussi, on souhaite assumer l’investissement qu’on a fait à Tarare, devenir une belle marque nationale, arriver à élargir ce qu’on a construit sur Auvergne-Rhône-Alpes au plan national avec le développement du réseau d’établissements.
Enfin, on aimerait que le dispositif de pépinière et accompagnement d’artistes, le Ninkasi Music Lab, grandisse et devienne aussi national. La finalité c’est que ces artistes arrivent à vivre de la musique, qu’ils réalisent leur rêve. On a besoin de culture dans notre société, on a besoin d’artistes, de gens différents !”
LA MUSIQUE AU NINKASI
- La musique fait partie de l’ADN Ninkasi. C’était une passion ? C’est venu avec le projet ? Vous jouez vous-même de la musique ?
“J’ai essayé, mais j’ai capitulé, la guitare, j’avais des musiciens avec qui je voulais jouer, mais je n’y suis pas arrivé. Je pense avoir renoncé un trop vite, je n’ai peut-être pas été cohérent avec la persévérance…
On a monté le Ninkasi avec des fans de musique, on côtoyait des amis à eux qui montaient leurs groupes donc ça a été très naturel de créer un café-concert dès le démarrage, de créer une salle de concert. La musique c’est de l’émotion. Lieu de brassage, il n’y a pas mieux que la musique pour répondre à cette promesse. avec une programmation éclectique, on brasse les publics. je trouve magique la rencontre entre artistes et public, les émotions qui ont cette vertu d’ouvrir nos horizons, de créer du lien.”
- Et le Ninkasi Music Lab, vous êtes impliqué ?
“Fabien Hyvernaud, directeur Ninkasi Musique, est très impliqué avec son équipe. Ils sont en totale autonomie. Par contre je leur demande de me dire tout ce qui mérite d’être vu et à ne pas louper ! J’aime ce côté spontané, le fait de ne pas être impliqué dans l’opérationnel, me permet d’avoir le même plaisir qu’un spectateur lambda.”
- Au Kao, Maggy Smiss était LA DJ iconique les lieux, qu’en est-il de votre collaboration ?
“On sera très heureux de l’accueillir à nouveau quand on rouvrira.”
QUI EST L’HOMME DERRIÈRE L’ENTREPRENEUR ?
- Comment décrivez vous votre personnalité, votre tempérament, au travail et dans le privé ?
“Il n’y a pas de différence entre les deux. Je suis toujours dans l’action, passionné et vivant, investi. J’ai une très grande volonté, une forte capacité à mettre les choses en œuvre.
Je suis aussi très impatient, j’ai envie de voir les choses avancer, bouger, je suis une personne parfois en décalage, en avance par rapport à certains sujets face aux autres, curieux j’aime approfondir les sujets, ça peut être fatiguant… j’ouvre constamment de “nouveaux chantiers”. Je n’ai pas peur des risques. Toute expérience permet de rebondir et réaliser plein de choses, mais je reste raisonnable et responsable.
J’ai besoin de me dépenser physiquement donc je fais beaucoup de sport, tôt le matin, avec le lever du soleil. J’aime voir les saisons défiler, les animaux sur les berges, j’adore la ville de Lyon pour cela. J’aime aussi la montagne, j’aime m’y émerveiller, m’y vider la tête. Dans l’effort physique, lorsque je prends de la hauteur, tout se clarifie, un énorme problème devient moins important.”
S’émerveiller et être présent à ce qui nous entoure est un exercice magique.
“Côté défauts : j’ai l’impression de tout construire autour du Ninkasi, d’avoir fait une place excessive à ce projet dans ma vie. Même si j’ai pris ma part de responsabilité dans ma vie privée, le projet Ninkasi était souvent au sommet. Je le conscientise plus aujourd’hui et je culpabilise quelque peu parfois. J’essaie quand même d’équilibrer les choses.
Très exigeant, je mets la barre haute pour mes équipes et moi-même, ça provoque un autre défaut : je vois toujours ce qui ne va pas bien. Du coup j’ai appris à célébrer aussi les victoires et voir ce qui va bien.
Je donne beaucoup d’importance à la parole donnée, à la fidélité. J’ai aussi pris conscience dans des situations de conflit, qu’on est souvent une grosse partie du problème.
J’ai pu aussi être imprudent, car j’ai une énorme difficulté à renoncer. Dans certains projets, c’est sage et pertinent de savoir dire stop, mais là dessus j’ai encore des progrès à faire !”
- Pour déconnecter, il y a le sport, quoi d’autre ?
“La musique, les concerts, le cinéma, la lecture, j’aime bien bien manger, les moments entre amis. J’aime bien lire des livres sur la société, les enjeux des changements climatiques, la philosophie. En ce moment, je lis sur “le management et le taoïsme”.”
- À Lyon, qu’aimez vous faire ?
“Je parcours la ville en courant donc je la vois sous différents angles. J’aime son Histoire, ses festivals… Le Lyon Street Food Festival est un de mes événements préférés, il réunit le vivre ensemble, la food et la musique. Jazz à Vienne, j’adore aussi, le site est magnifique, la ville propose plein de concerts gratuits.
On a de belles salles de spectacles à Lyon, du théâtre, j’aime découvrir les nouvelles expositions. J’ai hâte de découvrir la piscine du Lou ! Flâner dans les petites librairies de quartier.”
- Des bonnes adresses food à Lyon ?
“Le Bistrot du potager, le mode des plats à partager je trouve que c’est sympa avec des enfants, le Food Traboule aussi dans le même esprit. J’aime bien les ramens, les bonnes pâtisseries.”
- Y a t-il une question que je ne vous ai pas posée, des sujets qui vous touchent ?
“Concernant l’éducation, j’aimerais que mes enfants aient suffisamment confiance en eux pour qu’ils puissent s’ouvrir sur les autres. C’est le rôle qu’on doit avoir en tant que parent, qu’ils ne se replient pas sur eux-mêmes. Le terme d’individuation (chez Olivier Frérot) par opposition à l’individualisation explique comment je peux devenir moi même, en interaction avec les autres. On se rend compte qu’on a besoin des autres pour devenir soi-même, ou être au service de quelque chose qui nous dépasse.”
“Aussi, ma capacité de mettre en œuvre, je l’ai appris dès mon enfance, aîné d’une fratrie de 7 enfants, rapidement j’ai été indépendant et assez libre. J’ai eu un grand-père qui m’a beaucoup inspiré, je l’ai vu lutter contre une maladie, de manière extraordinaire. La liberté c’est la volonté, c’est le pouvoir de l’intention, cela m’a stimulé.
Vincent Cespedes, (philosophe et essayiste français) se demande qu’est ce qui fait que les gens ne renoncent pas ? On m’a souvent dit que je suis né dans le confort, c’est vrai mais ça été un stimulant pour me bouger, un peu comme un challenge. Mes parents m’ont fait confiance. Je reviens sur le taoïsme, entreprendre ce n’est pas un chemin pavé, il faut provoquer les rencontres, se mettre en mouvement : ça va déboucher sur quelque chose. Et on décide de voir comment le moment que je suis en train de vivre : il dépend du positif et de l’espérance qu’on y met. Il faut garder beaucoup d’espoir, montrer qu’on peut décider de voir une situation de manière positive, en étant conscient de voir ce qui ne va pas et trouver des solutions.”
Entreprenariat, éthique, humanité et ambition peuvent donc évoluer ensemble pour l’ascension d’une entreprise. C’est réconfortant de rencontrer un entrepreneur réjoui et épanoui, qui a foi en l’humanité et au vivre ensemble.
Crédits Photos : Girls Take Lyon, Ninkasi, Gaétan CLEMENT
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.